Les champs magnétiques de Jacques Bonnard

article publié dans le Courrier du 5 mai 2023
A Lausanne, Circuit présente « Introposition », une exposition de Bonnard qui retrace plus de 35 ans de travail artistique. L’occasion de découvrir la pratique hétéroclite de celui qui fut longtemps professeur à l’ECAL et a marqué durablement de nombreux.ses étudiant.e.s.  

Peu connue du grand public, la figure de Jacques Bonnard a pourtant été importante dans le paysage de l’art vaudois de la fin des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Pas étonnant dès lors que cet « artist’s artist » – artiste reconnu par ses pairs davantage que par l’institution et le grand public – soit exposé au centre d’art Circuit, géré justement par des artistes. 

Débuts artistiques 
Né en 1954, Jacques Bonnard étudie à l’École Cantonale des Beaux-Arts de Lausanne (future ECAL) entre 1975 et 1980. Parmi ses professeurs, le peintre Pierre Chevalley, tendance Support-Surface et le vidéaste Janos Urban, proche du groupe Impact. Ami de plusieurs étudiant.e.s à l’ESAV de Genève, il fréquente en auditeur les ateliers des Defraoui et les cours de Daniel Wilhelm, qui auront une influence sur son travail ; c’est aussi un habitué de la galerie ECART et Malacorda – plus tard il sera proche du collectif M/2 à Vevey.  A ce moment Bonnard fait de la peinture. A plat, un temps à l’huile, il développe sa « pâte picturale » ou « aplat Nutella » dans des œuvres type géométriques. Puis l’acrylique prend la suite et il développe des formes plus sinueuses, échos aux mouvements de l’esprit.  

Enseignant ou mentor  
En 1990 il est invité à enseigner la peinture et le dessin à l’ECAL ; il y restera jusqu’à sa retraite en 2015. Selon d’ancien.ne.s étudiant.e.s Bonnard était très ouvert, n’appartenait à aucune chapelle, n’encourageait pas de style particulier, mais poussait plutôt à chercher dans l’intime, à développer sa personnalité dans le travail. Il motive chacun.e à suivre sa propre direction, de manière directe ou plus sibylline – c’est la Pythie, qui parle parfois par énigmes, résonnant souvent juste.
C’est sans doute cette attention et cette curiosité, ainsi qu’une certaine érudition, qui ont nourri des liens d’amitié avec certain.e.s de ex-élèves jusqu’à aujourd’hui. Ensemble ils et elles échangent sur l’art – le leur, le sien, l’art en général, la vie d’artiste, la vie même. Ces discussions ont lieu chez lui, où il a aussi son atelier, et où se côtoient de nombreuses œuvres : les siennes ainsi que celles de sa collection (achetées notamment à des étudiant.e.s ou issues d’échanges). Parmi les points communs évoqués reviennent souvent un goût pour le jeu et l’humour, un amour de la peinture et de l’art, un intérêt pour le langage, une passion pour les matières et les objets qui nous entourent. 

Voisin d’à côté  
Avec Circuit c’est la même histoire : professeur de toute la bande fondatrice passée par l’ECAL, il a été ensuite leur voisin : Bonnard a eu son appartement en-dessus de Circuit version Montriond début 2000. Il réalise une installation de néons bleus pour l’entrée du centre d’art, comme une interprétation du lieu tel qu’il le voyait depuis sa fenêtre. Puis deux éditions, une sérigraphie et des dessins sur assiettes. Présent dans plusieurs expositions de groupe, son travail ne sera pas exposé en solo – ce n’était jamais le moment, pour lui comme pour eux. Jusqu’à ce qu’un déménagement donne l’occasion de brasser le travail et relance l’idée d’une exposition personnelle. 

Haïkus visuels  
C’est une rétrospective qui est présentée à Circuit, même si l’artiste déteste ce terme (ça sent le sapin). Une introspection sur une pratique de plus de 35 ans, un re-regard qui a impliqué aussi un grand tri. 125 pièces ont été retenues, qui témoignent de la diversité d’un travail constant mais hétéroclite, travaillant la peinture, le dessin et les assemblages d’objets. Étonnants, parfois dérangeants, ces objets constituent une recherche singulière qui répond à l’intérêt de Bonnard pour ce qui l’entoure, ce qu’il voit dans la rue, qu’il trouve ou récupère, mais aussi bien qu’il achète et détourne. Ce sont des formes existantes, des matières qu’il s’approprie et cache ensuite dans son « terrier » ; puis qu’il agence avec un ou plusieurs éléments dont les champs de force se répondent. Il y a quelque chose de dadaïste ou surréaliste dans ce détournement d’objet, dans l’excès de sens que ces assemblages génèrent, avec des connotations à la fois humoristiques et fétichistes.
Dans l’exposition ces objets sont présents parfois en force, parfois comme une ponctuation qui vient troubler l’accrochage de peintures et de dessins. Suggestifs, ils ouvrent des pistes mais n’imposent pas de lecture. Ainsi la plupart des œuvres sont « Sans titre ». Tandis que le langage est très présent dans la vie de l’artiste, ce dernier donne peu d’explications sur son travail, préférant laisser une liberté au public. A Circuit, en guise de texte de salle il a ainsi écrit un haïku. Cette légèreté est-elle de la radinerie ou une forme de politesse ? On penche pour la seconde option, tant dans son travail et son discours on ressent de la dérision, mais aussi un profond respect pour l’art, dans lequel il ne cesse de se situer.  

Exposition à voir jusqu’au 20 mai, https://www.circuit.li
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