jalousie, Charlotte Seidel

Exposition personnelle
Milkshake Agency, Genève
20.04-20.05.2012
Maintenant l’ombre du pilier –
le pilier qui soutient l’angle sud-ouest du toit –
divise en deux parties égales l’angle correspondant de la terrasse.                                                                            
Incipit de ‘La Jalousie’ d’Alain Robbe-Grillet, 1957      

En intervenant légèrement sur les objets et les environnements qu’elle rencontre, si subtilement qu’on ne le remarquera peut-être même pas, les œuvres de Charlotte Seidel interrogent notre regard et modifient notre rapport au réel. Curieuse des lieux et de leurs histoires, il lui suffit souvent d’ajouter un élément, ou de faire varier ce qui est déjà là (des sons, des lumières), pour que se révèle un aspect inconnu (ou oublié) de ce lieu – on a envie de dire de sa personnalité

Charlotte Seidel a découvert la Milkshake Agency il y a peu de temps. En visite un jour de grand soleil, elle a observé les jeux d’ombres qui parcouraient l’espace, défini avant tout par sa grande vitrine : zone de passage entre l’intérieur et l’extérieur – là où l’on s’attend à voir de l’art, et là où on ne s’y attend pas.
Pour désigner cette intersection, elle a choisi de la recouvrir de jalousies, stores à lamelles utilisés dans les bureaux, mais dont les rais de lumière évoquent aussi la chaleur des vacances. Fermant l’espace au regard, ou plutôt y appliquant un filtre, l’artiste met en scène l’acte de regarder à travers une fenêtre, si commun qu’on n’y pense même plus.
Certaines des lames sont écartées, reproduisant le geste du regardeur curieux ; ces formes sont répétées jusqu’à devenir éléments d’un motif dans lequel elles s’évanouissent, presque. Les jalousies sont aussi l’endroit où se diffracte la lumière, qui dessine des motifs vers l’intérieur – créés par les rayons du soleil, mouvants et évolutifs, ou vers l’extérieur – créés par plusieurs spots électriques, motifs composés qui jouent des croisements et des interférences. Ainsi l’installation déborde le lieu d’exposition à proprement parler pour s’étendre sur la rue et jouer avec les ombres des passants.  

Entre visible et caché, entre les différentes réalités selon que l’on est de l’un ou de l’autre côté, entre la frustration de ne pas voir et ce qu’on imagine… c’est évidemment le double sens du mot jalousie qui retient l’artiste : comme si le sentiment était attaché à l’objet, situé dans son origine même ; comme si, parallèlement, l’objet était une matérialisation du sentiment.
Dans La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, le narrateur épie une femme qu’il soupçonne de le tromper ; le plus souvent son regard se heurte à des jalousies fermées, et ne voyant rien, ou mal, il se perd en suppositions. Devant ce déficit de savoir, il décrit avec une précision presque maniaque les formes de la lumière, les changements entre le jour et la nuit, les ombres.
C’est que l’obstruction de la vision, ou sa perturbation, provoque un déploiement des ressources de l’imagination. Plus que la jalousie amoureuse, c’est cela qui intéresse Charlotte Seidel chez Robbe-Grillet. Dans son installation, le réel est découpé par les lamelles des stores en une série de tranches, qu’il s’agit de compléter et de relier par l’imagination (ou par la déduction, qui en est la part logique mais à peine moins subjective). L’artiste présente également dans l’espace d’exposition des photographies sur lesquelles elle est intervenue par retranchement ou superposition, jouant avec les structures de l’image et les différentes couches de sens, entre voilage et dévoilement.
Avec ses interventions, Charlotte Seidel ne propose rien moins que de nous changer la vue.
site de Charlotte Seidel

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