slightly slipping on a banana skin

programmation 2016 - 2018
commissariat Isaline Vuille & Bénédicte le Pimpec
slightly slipping on a banana skin
Deux années de programmation pour la Médiathèque du FMAC, Genève
2016-2018
Bénédicte le Pimpec et Isaline Vuille    

Si l’art constitue un espace de pensée à part entière, il agit à la fois dans et à côté du monde ; il permet de penser le réel tout en produisant des objets ou des images ; il opère dans le prélèvement et dans le décalage, propose de se placer légèrement ailleurs et de porter un autre regard sur ce qui nous entoure. Le projet slightly slipping on a banana skin[1] souhaite envisager l’art en tant qu’outil de pensée, faisant dialoguer des œuvres vidéo issues des collections du FMAC avec des pièces d’artistes[2] invités.  

Deux références ont fonctionné comme points d’ancrage pour le projet. Dans son Traité de bave et d’éternité (1951), Isidore Isou inaugure le concept de discrépance ; le décalage entre images et bande-son, chacune suivant sa propre logique, suscite des liens et des collisions inattendus, survenant à différents moments. Tandis que Jean-Luc Godard s’interroge en 1970 : Que faire ? dans un manifeste éponyme. Il y répond ainsi : 1 - Il faut faire des films politiques et 2 - Il faut faire politiquement des films ; ces deux affirmations constituant selon lui deux visions antagonistes du monde, la première appartiendrait à une conception idéaliste et métaphysique alors que la seconde en serait une conception marxiste et dialectique.
Que représente-t-on via l’image, avec quels moyens, et dans quels buts ? Les images et les sons étant des reflets – d’une époque, d’un individu, d’un groupe, d’une pensée mais aussi d’un pays, d’un paysage –, il s’agit aussi de réfléchir à la manière dont on les organise au montage.
Ces questions ne cessent de résonner (encore) aujourd’hui avec une certaine urgence. Dans un contexte tendu, où la crise fait partie de notre vocabulaire quotidien, où les extrêmes de droite et de gauche se font de plus en plus prégnants, en bref dans un contexte où il est compliqué de ne pas penser politiquement, nous avons proposé une interprétation de l’injonction du « politique » comme la création de moments d’ouverture, de rencontre et de dialogue Depuis plusieurs années, notre rapport aux images connaît également un bouleversement, notamment via l’usage du smartphone qui prolonge la révolution opérée par les caméras légères du début de l’art vidéo : chacun peut désormais produire des images et les diffuser rapidement à une large audience, augmentant sans cesse la masse et le flux des images en circulation.    

Expositions  
Dans l’espace complexe de la Médiathèque, lieu d’exposition mais aussi de consultation et de travail, nous avons souhaité développer les surfaces de monstration en transformant les structures existantes et en investissant l’espace de l’entrée ouvert sur la rue.
Pour chacune des sept expositions, nous avons opéré une sélection d’œuvres dans les collections vidéo du FMAC, les mettant en conversation avec des installations, pièces sonores, vidéos, films ou photographies d’artistes invités, dont les rapprochements permettaient d’esquisser des histoires possibles, opérant par capillarité ou par suggestion, tissant des parallèles entre différentes époques, préoccupations et vocabulaires formels variés.
Aux titres composés de verbes en anglais (be part of ; belong and observe ; be aware, record ; say again ?; burning then ; stumble and choose ; find and loose) suggérant un état de fait, ou la possibilité performative d’une action, les expositions ont abordé des problématiques environnementales, politiques, sociales – traitant aussi des questions d’engagement chez les artistes, ou encore le rapport aux récits de l’histoire via le reenactment ou le lien au paysage. A plusieurs reprises le travail d’artistes dont les pratiques s’apparentent à des formes d’activisme ou de recherche en sciences sociales sont entrés en dialogue avec d’autres pièces plus abstraites ou poétiques – le lien au réel était toujours pensé dans une forme, le plus souvent envisagée dans le contexte de l’art.    

Prologues  
Lors de chaque exposition, un prologue accueillait le public dans le hall d’entrée du FMAC, espace relié à la rue des Bains et visible depuis l’extérieur 24h/24. Prélude, effet d’annonce, commentaire ou contrepoint à l’exposition en cours, les prologues ont souvent été constitués d’œuvres des débuts de l’art vidéo (Tony Morgan, Jochen Gerz, René Bauermeister entre autres) issues du Fonds André Iten.    

Procurations  
Ponctuant la programmation, trois procurations ont été données à des artistes ou groupe d’artistes afin qu’ils portent un regard sur les collections vidéo du FMAC via un autre médium – et une approche distincte de celle établie par le programme curatorial. Avec des stratégies différentes, ils se sont appropriés certaines œuvres des collections et ont proposé des projets installatifs voire immersifs dans les espaces de la Médiathèque : tandis qu’Aurélie Pétrel a construit une partition en trois volets sur la question des critères de sélection appliqués à une collection vidéo et les traces qui en demeurent, Sarah Burger et Ceel Mogami de Haas se sont eux concentrés sur le travail de Chris Marker (Fonds Chazalon) qu’ils ont mis en lien avec le film de science-fiction Blade Runner, invitant neuf artistes à réaliser de nouvelles productions pour une exposition sonore. Le collectif lausannois Urgent Paradise (agissant sous le nom de Collettivo UP) a pour sa part jeté son dévolu sur une vidéo choisie par un système aléatoire, déclinant à partir de cette œuvre une fiction qui a permis d’aborder la question de la conservation des bandes originales du Fonds Iten. Chacune à leur manière, ces expositions ont mis au point des systèmes de sélection d’œuvres et ouvert des pistes de réflexion sur la manière dont une collection publique peut être investie par des artistes.    

Interférences  
En parallèle de ces expositions à la Médiathèque, un système d’interférences a permis de se focaliser sur une œuvre, un projet en cours, ou de développer un aspect plus particulier du travail présenté dans le cadre d’une exposition. Occasion de collaborations régulières – notamment avec le Cinéma Spoutnik ou la HEAD-Genève ; ou d’événements particuliers – comme la Nuit des Musées, le salon artgenève ou la Journée mondiale du patrimoine audiovisuel de l’UNESCO  –, les interférences ont été pensées comme des formats souples et modulables, allant de la projection, conférence ou performance à l’exposition hors-les-murs. Un lien fort avec la question de la littérature, notamment la construction du récit, reliait les différents projets : ainsi, la projection de Le film est déjà commencé ? de Maurice Lemaître, manifeste du cinéma lettriste a été suivi par l’intervention d’Erik Bullot sur l’anti-cinéma lettriste au Cinéma Dynamo (Centre d’art contemporain Genève). Maître Fluxus aux multiples pratiques, Robert Filliou (dont une partie des œuvres vidéos se trouvent dans le Fonds Iten) et son Histoire chuchotée de l’art a été la source de quatre performances conçues pour la Nuit des Musées 2017 par Jérémy Chevalier, Christian Pahud et ses étudiants de l’ECAL, Darren Roshier et Anne le Troter qui se sont librement approprié le texte.  

Nombreux sont également les artistes avec qui nous avons souhaité filer la métaphore ou poursuivre la collaboration. Sven Augustijnen est ainsi intervenu sur le salon artgenève 2017, où il a exposé une partie de sa recherche en cours autour d’une arme produite en Belgique dès les années 1950 et que l’on retrouve sur un grand nombre de conflits de par le monde. À la suite de cette expérience nous avons accompagné son projet de film via une aide à la production du Fonds cantonal d’art contemporain et l’avons accueilli lors de plusieurs interventions publiques. Après la Nuit des Musées, Anne le Troter a également été invitée à produire un projet pour artgenève 2018 : de retour des USA elle a réalisé une installation sonore et vidéo autour de données recueillies sur le site d’une banque de sperme américaine ; entre recherche de l’homme idéal et définition du partenaire génétique parfait, la pièce sonore résonnait comme une ritournelle grinçante. Kapwani Kiwanga est elle aussi revenue plusieurs fois pour présenter les trois chapitres de son projet AFROGALACTICA : une brève histoire du futur, conférences-performées où elle interprète une anthropologue du futur.  

Plusieurs autres interventions ont questionné la mise en récit du réel, avec des stratégies bien différentes : mise en scène très structurante chez Martin le Chevallier ; avènement d’une action performative et non écrite chez Guillaume Robert ; étude d’un parcours de vie par le biais des lieux et des paysages traversés chez Eric Baudelaire ; mise en place d’une hypothèse sur le rapport au temps dans le projet de film du peuple qui manque.  

D’autres interférences ont par ailleurs permis de prolonger les contenus présentés dans les expositions : Dora García est ainsi venue présenter son projet de recherche Segunda Vez en marge de l’exposition say again ? tandis que Charles Heller est venu discuter du film Non Assistance de Frédéric Choffat à l’occasion de l’exposition be aware, record.   

Collection SSOABS  
Une collection temporaire d’images en mouvement a également été inaugurée lors de la première exposition. Sans critères de sélection si ce n’est la volonté d’y prendre part, ce projet était pensé comme une forme de contrepoint aux fonctionnements des collections publiques à l’heure actuelle, comme celle du FMAC, et s’adressait à toute personne intéressée – artiste ou non. Cette collection éphémère, disponible en consultation à la Médiathèque du FMAC, prend fin avec le mandat ; seul un inventaire subsiste[3].    

Publication et système graphique  
Une publication, enfin, est le résultat d’une réflexion commune avec les graphistes Eva Rittmeyer et Xavier Robel. Elle a été dès le départ envisagée comme la somme de tous les documents mis à disposition du public : cartons d’invitation et livrets de salle ont ainsi été directement paginés et conçus pour être débarrassés des marges – où se concentraient les informations pratiques – lors de l’assemblage. La compilation de ces documents est ici augmentée d’un texte de François Bovier et d’un entretien avec Le peuple qui manque (Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós), ainsi que d’un carnet d’images des œuvres et des vues d’expositions. 

Considérant notre souhait de ne pas privilégier le visuel d’un artiste ou d’une œuvre lors des expositions collectives, le système graphique proposé par Xavier Robel propose une histoire graphique de l’évolution des technologies vidéo : le visuel qu’il a créé pour chaque exposition correspond en effet à la forme d’un pixel, allant du tube cathodique à l’écran LCD en passant par différentes versions pour des ordinateurs ou des télévisions. Proposant un système visuel indépendant, ces formes ponctuent l’ensemble de la programmation.
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